Icône de la mode, Diane Pernet fait partie de ces figures emblématiques que l’on reconnaît immédiatement par son style inimitable. En tant que journaliste, Diane s’attache à défendre inlassablement les créateurs indépendants à travers son blog A Shaded View on Fashion. Dans une démarche avant-gardiste pour l’époque, Diane lance en 2005 ce blog qui fait aujourd’hui figure de référence en la matière. A cela s’ajoute le festival ASVOFF (A Shaded View on Fashion) qui met en avant les échanges entre la mode, l’art contemporain et le cinéma. Un engagement qui fait de Diane une inspiration pour toute une génération de jeunes créateurs.
- Diane, pouvez-vous nous parler de vos premières années aux Etats-Unis et de votre arrivée à Paris ?
{D.P.}: J’ai débuté mon parcours par un diplôme en réalisation de films documentaires à la Temple University avec une passion pour des réalisateurs tels que Cassavetes et Fassbender. Ils étaient, de loin, mes préférés. J’ai ensuite étudié la mode durant neuf mois à la fois à la Parsons School of Design et au Fashion Institut of Technology. Ceci avant de créer ma propre marque qui aura existé durant 13 ans.
En 1990, je déménage à Paris et collabore sur différents projets dont la conception de costumes pour quelques films. Golem l’Esprit de l’Exil d’Amos Gitaï fut le premier. Puis, j’ai travaillé pour CBC Fashion File en tant qu’assistante productrice. C’est un peu par hasard que je suis devenue journaliste, en commençant par un magazine japonais, elle.com et vogue.fr. En février 2005, j’ai lancé mon propre blog.
C’est mon expérience avec Amos Gitaï, qui n’était pas mon expérience préférée, qui a planté les graines de mon festival de cinéma. J’étais censée être la première costumière de ce film lorsque j’ai quitté New York et j’ai fini par être la dernière. En effet, j’étais la sixième du film car les costumiers précédents avaient tous été licenciés ou avaient démissionné. J’avais été appelé pour refaire le début et la fin du film avec les deux acteurs principaux, dont Hanna Schygulla, ce qui était génial car elle a commencé sa carrière en travaillant avec Fassbinder. Encore une fois, j’adore ce réalisateur et j’ai vu tous ses films. Donc, j’étais sur le tournage de Golem, L’esprit de l’exil et il se trouve que le chef opérateur était Henri Alekan. Il avait plus de 80 ans mais avait l’énergie d’un homme de 40 ans. Il était génial. D’un autre côté, Amos a eu peur parce que j’étais créateur de mode. Quand on est un bon créateur, on développe son propre univers, il ne s’agit pas uniquement de produire des sacs et des chaussures.
C’était en 1991. J’ai lancé mon blog en 2005 et il fallu attendre 2006 pour démarrer mon festival car ça avance très lentement en France. Je vis ici depuis 33 ans et évidemment j’aime ce pays sinon je ne serais pas là. Mais pour donner mon impression, je cite toujours Orson Welles qui parle de faire un film : « Faire un film, c’est comme faire du tricycle dans de la mélasse ». Une manière de dire : « Dieu sait combien de temps ça va prendre ? ». À mon avis, si vous voulez faire quelque chose, faites-le. Parce que si vous attendez que les gens vous soutiennent, vous pouvez attendre ad vitam eternam. Ce n’est que l’année dernière que j’ai reçu le soutien du ministère de la Culture. J’espère que cela ne changera pas avec la nouvelle politique.
Comme j’étais la première à imaginer ce type de festival, j’ai été invité un peu partout et ces pays se sont dit qu’ils allaient faire leur propre festival. Mais ces projets semblent plus intéressés par le fait d’attirer des célébrités qu’autre chose.
- Ce qui me frappe, c’est votre bienveillance envers les jeunes créateurs. Est-ce que cela vient du fait que vous étiez vous-même créatrice de mode ?
{D.P.} : Exactement. J’étais designer indépendante et j’ai eu ma propre marque pendant 13 ans à New York avec une licence à Tokyo. Lorsque j’ai travaillé pour Vogue, Elle et CBC, j’ai réalisé qu’à moins d’être annonceur, vous ne bénéficierez pas d’une couverture médiatique adéquate. En tant que journaliste, je ne pouvais présenter qu’un seul créateur indépendant chaque saison. J’ai dû me battre pour Martin Margiela car il ne faisait pas de publicité. C’est la raison pour laquelle je soutiens les designers indépendants.
- Pourquoi avoir choisi d’organiser le festival durant Paris Photo ?
{D.P.} : Un de mes membres du jury, qui est conservateur à la Tate Modern, m’a suggéré d’organiser le festival durant Paris Photo. C’était une excellente idée car c’est une période où il y a pas mal de gens présents à Paris.
Bruce Weber, l’un des photographes de mode les plus célèbres au monde, est aujourd’hui également un réalisateur. Son producteur m’appelle un jour et me dit que Bruce a réalisé un film sur le photographe italien Paolo di Paolo qu’il propose de projeter pendant le festival. Quelques jours avant la projection, Bruce a demandé à ce qu’un pianiste vienne de Londres. Je savais qu’il y avait un piano au Dover Street Market, mais pas exactement le type de piano que Bruce espérait. Finalement Bruce a envoyé un Steinway à ses frais et Jay Jay Johanson est venu se produire le premier jour. Jay Jay ne savait pas que nous aurions ce magnifique piano. Finalement, ce fut un merveilleux moment et j’ai décidé de conserver cette idée d’organiser l’événement durant Paris Photo. On ne sait jamais ce que cela peut apporter.
- Le festival a lieu au Dover Street Market. Pourquoi est-ce le bon endroit pour le festival ?
{D.P.} : Nous avons passé 7 ans au Centre Pompidou, c’était fantastique. Mais je comprends que ce ne soit pas si simple pour eux de travailler avec quelqu’un d’indépendant. Nous avons donc déménagé à Dover Street juste après le COVID.
A cette époque, Dover Street Market était encore en cours de construction et ils commençaient à organiser leur première exposition : « Je t’aime moi non plus ». A l’époque le 35-37 était un espace purement culturel. Ce n’était pas un espace commercial. Je connaissais Adrian Joffe, président de Comme des Garçons et Dover Street Market qui a fondé le concept store avec Rei Kawakubo depuis l’époque où j’étais journaliste et rédactrice en chef d’un magazine de mode à Hong Kong appelé Joyce. Adrian voyage tout le temps et a énormément de travail. Quand nous nous sommes finalement retrouvés, il m’a demandé ce dont j’avais besoin. Il m’a montré son espace à Paris qui était en construction et j’ai juste dit : « C’est ce qu’il me faut ».
Lorsqu’ ASVOFF était au Centre Pompidou, nous avions un espace et une équipe technique à notre disposition. C’était donc incroyable, mais si j’avais une idée de dernière minute, comme celle du piano, il m’était impossible de la mettre en place. Cela aurait dû être décidé des semaines/mois à l’avance. Travailler avec Adrian, c’est une bénédiction. C’est quelqu’un de très spécial et je ne connais personne comme lui: il soutient la créativité et y croit. Avec Rei, cela fait partie de leur « raison d’être ». Adrian souhaite maintenir une collaboration similaire à celle que j’avais avec le Centre Pompidou mais en ajoutant un espace pour les événements culturels.
- Comment est nommé le jury ? Pourriez-vous brièvement présenter les membres de la prochaine édition ?
{D.P.} : Je me charge de la sélection du jury. Je choisis des personnes intéressantes et qui ont quelque chose à dire. Cette année, Michèle Lamy va en être la présidente pour la deuxième fois et j’ai invité Jay Jay Johanson, cet incroyable chanteur, compositeur et être humain dont j’ai parlé plus tôt. Parmi les autres membres figurent Matthieu Orléan, conservateur de la cinémathèque française, Bina Daigeler, costumière qui travaille actuellement sur le nouveau film d’Almodovar, elle a également travaillé sur Only Lovers Left Alive de Jim Jarmusch. Elias Medini alias Ly.as, qui est absolument génial, Audrey Marnay mannequin et actrice. Je la suis depuis qu’elle a 15 ans. C’est un jury très varié car j’aime avoir des apports différents.
Mon festival est très inclusif et diversifié. En plus de la compétition officielle, il existe huit catégories distinctes. Ils ont tous leurs commissaires et choisissent leur propre jury. Cela concerne des enfants et des adolescents pour les catégories Climate Warriors, car la durabilité a toujours fait partie du festival. Leur président du jury est âgé de 13 ans pour les enfants et de 15 ans pour les adolescents et ils choisissent également leur propre jury. J’ai pensé qu’il serait intéressant de voir ce que pensent les enfants et de donner 30 secondes par film pour les enfants et 60 secondes pour les adolescents, réalisés sur leur téléphone portable ou en stop motion pour montrer comment ils voient l’avenir.
Il y a aussi l’icône du skateboard Steve Olson. Nous sommes amis depuis l’époque où j’étais designer à New York dans les années 80. Il sortait avec un de mes modèles à l’époque. Quand j’ai fait mon premier festival en 2006 sur Hollywood Boulevard, nous avons eu quelques problèmes avec notre espace car nous l’avions eu gratuitement avant qu’il ne soit réservé pour Terminator 2. Pour conclure, ils nous ont mis sur une terrasse à 7 heures du matin; en Août. Comme vous pouvez l’imaginer, nous avons eu un problème avec le soleil. J’ai donc appelé Steve que je n’avais pas vu depuis des années et il est venu m’aider à résoudre le problème. Depuis, nous sommes très proches. Il faisait partie de mon jury l’année dernière et je lui ai demandé de participer à cette nouvelle édition. Il y a aussi dans le jury ce grand acteur qui incarnait l’adjoint Andy Brennan dans Twin Peaks : Harry Goaz. C’est un mélange de personnes des éditions précédentes et de nouvelles personnes avec des âges, des mentalités et des expériences de vie différents.
Vous qui avez l’occasion de regarder beaucoup de films et de vidéos, quel est l’air du temps ?
{D.P.} : Eh bien, il n’y a malheureusement pas beaucoup d’espoir pour le moment. Il y a une sorte d’évasion dans la fantasy. Une des catégories qui me tient à cœur, et nouvelle avec cette édition, est « la santé mentale dans la mode ».
Quelque chose de totalement différent : il y a quelques éditions, j’ai donné quelques centaines d’euros à un gars d’une vingtaine d’années pour monter un projet de film Tik Tok. Il a pu créer une installation qui crée une sorte de cacophonie et c’était intéressant de voir les réactions des gens. Il existe désormais des films générés par l’IA. J’essaie toujours d’inclure des choses qui me semblent pertinentes dans le contexte actuel.

