Le Lucas Museum of Narrative Art, fondé par le réalisateur George Lucas et son épouse, la femme d’affaires américaine Mellody Hobson, est une institution culturelle dédiée à l’art narratif. Situé à Los Angeles, en Californie, le musée présentera une vaste sélection d’œuvres d’art allant de la peinture à l’illustration en passant par la photographie et les œuvres cinématographiques. Ceci dans un incroyable bâtiment de près de 28 000 m². La mission du musée est d’explorer les différentes formes de narration et leurs évolutions à travers les époques et les cultures. Une expérience unique et immersive au carrefour de l’art, de la narration et des médias.
En 2020, Sandra Jackson-Dumont a été nommée directrice et CEO du Lucas Museum. Pour mener à bien sa mission, Sandra s’appuie sur plus de 25 ans d’expérience dans de grandes institutions telles que le Seattle Museum of Art, le Whitney Museum, le Studio Museum à Harlem et le Metropolitan Museum of Art.
● Le musée est actuellement en construction. Avez-vous une idée de la date d’inauguration ?
{S.J-D} : 2025. Nous aurons bientôt le plaisir de pouvoir préciser la date, au fur et à mesure que nous nous rapprochons de l’ouverture.
● Avez-vous l’intention de devenir un acteur local et de jouer un rôle actif auprès de la communauté des alentours ?
{S.J-D} : Oui! Permettez-moi d’abord de présenter l’environnement du musée. Nous faisons partie de l’extraordinaire quartier d’Exposition Park où nous sommes entourés d’autres institutions culturelles de premier rang avec notamment le California Science Center, le Natural History Museum et le California African American Museum. Le Los Angeles Memorial Coliseum, l’un des principaux sites des Jeux olympiques de 1932 et 1984 et le BMO stadium, siège des équipes de football L.A.F.C. et Angel City, ainsi que le Rose Garden, se trouvent également à proximité. La communauté locale est déjà incroyablement dynamique, et nous sommes fiers de faire partie de l’avenir du South Los Angeles. Le Lucas Museum est construit sur un site où se trouvaient auparavant un parking. Nous sommes donc très heureux d’y ajouter non seulement le musée, mais également de magnifiques nouveaux espaces verts à cet endroit. De manière plus globale, nous sommes impatients de créer un lieu que chacun pourra s’approprier, que l’on vive et/ou travaille dans le quartier, dans le reste de la Californie du Sud ou que l’on soit de passage à Los Angeles.
En termes d’engagement et d’impact local, il y a l’aspect économique évident – à l’heure actuelle, nous créons un grand nombre d’emplois différents sur le chantier. A l’avenir, de nombreuses autres opportunités seront disponibles, depuis les personnes en charge de l’expérience des visiteurs en passant par l’hôtellerie et la vente au détail jusqu’aux professionnels du domaine de la culture.
Nous prenons très au sérieux notre engagement en faveur de l’éducation. La communauté qui entoure le musée comprend 501 écoles dans un rayon de 5 miles. C’est une opportunité incroyable ! Nous sommes également en discussion avec l’Université de Californie du Sud (USC), notre voisine située au nord. En tant qu’institution dédiée à l’art narratif, et disposant d’un bâtiment incroyablement nouveau et innovant, nous avons de nombreuses possibilités de collaborer au travers toute une série de disciplines, notamment l’histoire de l’art, la culture des objets, la littérature, les arts du spectacle et la musique, ainsi que l’économie et l’architecture.
Je suis fière que nous n’attendions pas que nos portes s’ouvrent pour nous impliquer dans et avec les communautés et les partenaires. Nous participons d’ores et déjà à la vie dynamique de l’écosystème de Los Angeles. Ceci en partenariat non seulement avec la ville de Los Angeles, mais également avec d’autres villes.
● Les personnes qui ne sont pas en mesure de venir à Los Angeles pourront-elles profiter de la programmation du musée ?
{S.J-D} : Absolument. Notre remarquable collection est en évolution permanente et nous souhaitons qu’elle soit diffusée dans le monde entier. Nous cherchons à travailler en partenariat avec des organisations dans tout le pays et en dehors de nos frontières. L’un des moyens d’y parvenir est de prêter certaines de nos œuvres, afin qu’elles puissent être vues et interprétées à travers le prisme et l’approche de ces autres institutions. Par exemple, le MET possède le tableau George Washington Crossing the Delaware d’Emanuel Leutze et nous possédons George Washington Carver Crossing the Delaware de Robert Colescott, une œuvre satirique inspirée de ce tableau. L’œuvre de notre collection a été récemment installée à New York au New Museum dans le cadre d’une rétrospective de l’œuvre de Colescott, mais cette œuvre n’avait jamais été exposée au MET à côté du tableau qui l’a inspirée. Nous avons pu nous associer avec eux et, pour la première fois dans l’histoire, ces deux peintures ont été accrochées l’une à côté de l’autre, créant ainsi une discussion importante sur ce que cela signifie d’être américain. Elles ont également suscité une discussion sur le rôle d’un artiste dans la société. Ces deux tableaux, qui traitent du même sujet, ont été réalisés par deux personnes totalement différentes, à deux époques différentes. Ils ont permis de construire un récit sur l’Amérique en racontant la même histoire à travers des regards différents. Nous espérons que ce type d’expérience sera réitérée et que nous serons en mesure de nouer d’autres partenariats institutionnels au niveau international.
En dehors de cela, la dimension digitale sera, bien entendu, importante et nous comptons être très présents en ligne. Cette programmation sera disponible en accès libre afin d’accéder à du contenu éducatif. Vous trouverez tout ceci sur notre nouveau site web qui sera en ligne peu avant l’ouverture du musée. En la matière le musée George Lucas fera preuve du dynamisme que l’on est en droit d’attendre d’une institution du XXIe siècle.
● Dans le monde dans lequel nous vivons, l’information est parfois manipulée. Pensez-vous qu’une institution telle que le Lucas Museum pourrait aider les visiteurs à être mieux armés face à ceux qui tentent de réécrire l’histoire en leur faveur ?
{S.J-D} : L’un des rôles les plus importants du Lucas Museum of Narrative Art est de créer un espace et des points d’entrée pour que les gens puissent penser de manière critique. De nos jours, les gens réalisent plus que jamais l’impact de l’imagerie sur la façon dont nous nous voyons les uns les autres, sur la façon dont nous voyons le monde et sur la façon dont nous sommes parfois faussement informés.
En tant qu’institution, nous voulons aider les gens à comprendre l’impact des images qui nous entourent afin qu’ils puissent avoir un discours beaucoup plus dynamique sur les questions importantes. Pour nous, cela devient très excitant parce que le résultat est une communauté d’individus mieux informés, un environnement plus sain dans lequel on peut être soi-même, vivre et parler. Nous voulons équiper les gens d’une défense intellectuelle pour qu’ils soient en mesure d’avoir des conversations significatives sur les images qu’ils voient.
● L’art narratif et le musée peuvent-ils être une passerelle vers le reste de l’histoire de l’art ?
{S.J-D} : Je pense que l’art narratif et le musée peuvent être une passerelle vers le reste de l’histoire de l’art en particulier et de l’histoire en général. Les systèmes narratifs faisant appel à l’image sont accessibles au plus grand nombre et encouragent les visiteurs à apporter leur propre point de vue. Prenons l’exemple d’une planche originale de bande dessinée: la plupart d’entre nous avons lu des bandes dessinées. Le public est donc susceptible d’être intéressé par le travail de l’artiste qui a réalisé les planches qui constituent les albums qui leur sont chers. Imaginez ensuite que nous puissions créer un dialogue avec une autre œuvre comme celles de l’artiste contemporain Kerry James Marshall.
Récemment, j’étais à Rome et cela m’a donné un autre point de vue sur la bande dessinée. Certains penseront peut-être que c’est exagéré, mais lorsque j’ai réfléchi à l’importance de la gravure et de la bande dessinée pour les mouvements politiques, ainsi que pour la propagande et le partage d’idées importantes, j’ai fait le lien avec la chapelle Sixtine et ces basiliques, qui sont absolument incroyables. Je vois ces fresques et ces vitraux et je sais que nous pouvons les utiliser pour avoir des conversations surprenantes sur le rôle et l’objectif de ces images à l’époque et le rôle de la bande dessinée au 20e et au 21e siècle. Je pense que c’est fascinant parce car ces deux pratiques ont en commun de vouloir communiquer au grand public des idées qui semblent importantes. Donc oui, je suis persuadé que l’art narratif va non seulement attirer les gens dans les musées, mais aussi les aider à appréhender les œuvres d’art différemment.
● Le musée présentera-t-il une exposition permanente ou uniquement des événements temporaires ?
{S.J-D} : Les deux. Certaines œuvres seront permanentes, mais la plupart d’entre elles seront en constante rotation. Nous voulons montrer beaucoup de choses aux visiteurs du Lucas Museum. Et, bien sûr, il n’y aura pas que de l’art contemporain. Notre collection s’étend à travers le temps et l’espace afin de présenter un panorama complet et mettre en avant l’importance de l’art narratif à travers les cultures.
● Justement, quelle est votre définition de l’art narratif ?
{S.J-D} : Nous retenons une définition élargie de l’art narratif parce que nous souhaitons vraiment que les gens comprennent qu’il ne s’agit pas de quelque chose de récent, qui est apparu du jour au lendemain.
L’art narratif a toujours été et continuera à produire des histoires avec lesquelles nous vivons. C’est un type d’art qui témoigne de notre manière de voir le monde, en donnant forme et caractère à des événements réels, à des réalités alternatives ainsi qu’à des systèmes de pouvoir. L’art narratif offre une forme visuelle à des histoires spécifiques et au sens qu’elles contiennent. Il a un impact sur la façon dont nous évoluons dans le monde et sur la façon dont nous nous percevons dans notre environnement. Ces histoires peuvent être racontées de manières littérales dans la représentation des personnages, de l’action ou de l’intention. Elles peuvent également être suggérées par l’ambiance, l’atmosphère ou l’utilisation de l’iconographie. Les perspectives qu’adoptent les spectateurs face aux œuvres d’art influencent le sens et la signification des récits qu’elles véhiculent. Reflétant les expériences et les aspirations humaines, les œuvres d’art narratives peuvent être appréhendées différemment à travers le temps, la culture et la langue.
Le terme d’ « art narratif » n’est apparu que dans les années 1960, mais les systèmes de récits existent dans l’histoire de l’art depuis les peintures rupestres, qui comptent parmi les plus anciens exemples de création artistique de l’humanité. Certaines de nos peintures et sculptures religieuses les plus importantes nous aident à comprendre la spiritualité, l’endoctrinement et le dogme, mais une grande partie de l’art narratif des premiers temps visait à instruire une communauté analphabète et à leur véhiculer les idées que les personnes au pouvoir voulaient qu’elle intègre.
L’art narratif ne commence pas à un moment donné, il s’agit plutôt d’une façon de travailler. La plupart du temps, les gens essaient de définir un artiste comme un peintre figuratif, un artiste abstrait, etc. Mais cette terminologie ne s’applique pas à l’art narratif, car nous recherchons la narrativité dans tout le spectre de l’art. Nous avons découvert que même nos plus grands artistes abstraits, comme Gerhard Richter, ont abordé l’art narratif et la narrativité. Nous prenons en compte ce genre de pratiques qui ne concernent pas seulement l’artiste, mais aussi parfois l’œuvre qu’il produit à un moment donné.
La collection personnelle de Lucas est complètement distincte des archives du Lucas Museum. Le musée aura-t-il son propre programme d’acquisition ?
{S.J-D} : Les fondateurs ont initialement fait don des archives historiques de Lucasfilm au Lucas Museum, et nous avons acquis de nombreuses œuvres depuis. La collection que l’équipe du musée a soigneusement constituée comprend des œuvres de Lucas Cranach l’Ancien, Artemisia Gentileschi, John Singer Sargent, Norman Rockwell, Jacob Lawrence, Yinka Shonibare, et bien d’autres encore. Elle comprend des peintures, des sculptures, des dessins, des photographies, des affiches, des magazines, des bandes dessinées, ainsi que des illustrations originales destinées au grand public.
● Comme vous l’avez mentionné, le musée n’a pas encore ouvert ses portes, mais vous avez d’ores et déjà mis en place une programmation. Pouvez-vous nous en parler ?
{S.J-D} : Nous sommes très actifs en termes de conférences et de programmes ouverts au public. Hier, j’ai participé à une table ronde avec les directeurs du Getty Museum et du Los Angeles County Museum of Art. Nous parlions de Los Angeles en tant que centre créatif, social et intellectuel, un endroit dont tout le monde parle d’un point de vue culturel. Pas seulement dans les musées, mais aussi en ce qui concerne la danse, la culture, les arts visuels et, bien entendu, le divertissement. La ville a toujours été une destination de choix et elle commence à être connue comme un pôle d’attraction, comme un lieu pour vivre, créer, prendre soin de soi et évoluer.
Nous continuerons à participer à ce type de conversations enrichissantes. Le partenariat avec notre communauté locale est particulièrement important pour nous, et nous sommes également engagés dans des partenariats à travers la ville, y compris de nombreuses conversations et conférences avec des enseignants, des membres de la communauté, des étudiants et des artistes. Nous établissons également des partenariats à l’échelle nationale, notamment par le prêt d’œuvres et la co-création de contenu.
Nous pensons qu’une marée montante soulève tous les bateaux. Compte tenu de toutes les activités qui se déroulent à Los Angeles, on peut dire que la marée est bien en train de monter. Nous sommes impatients de mettre de la magie dans et avec nos différentes communautés au niveau local, national et international.

