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Depuis la fin des années 80′, Antoine Verglas a su saisir dans un style intime la beauté des plus grands mannequins de leur temps. Une approche qui a séduit les marques et les magazines les plus prestigieux. D’Estelle Lefébure à Stephanie Seymour, du Magazine Elle à Vogue, de Victoria’s Secret à Louis Vuitton. Impossible d’envisager de tous les citer. 

Ce parcours, c’est celui d’un étudiant de Sup de Co, mannequin et présentateur de télévision qui se forme de manière autodidacte auprès de certains grands noms de la photographie. C’est également celui de quelqu’un qui a compris que la chance, cela se provoque, lorsque l’on persiste et que l’on saisit les opportunités; quitte à changer de continent. Nul n’est prophète en son pays. 

Antoine, vous débutez votre carrière au milieu des années 80’ en multipliant les expériences audiovisuelles. Une époque durant laquelle vous avez su saisir les opportunités qu’offrait un secteur en plein effervescence. Dans quelle mesure ces années ont-elles posé les bases de votre future carrière de photographe ?

Nous sommes alors en 1986 et je viens à peine d’obtenir mon diplôme à Sup de Co Rouen.  C’était une époque où il fallait savoir être réactif. J’avais d’ores et déjà participé à pas mal de campagnes pubs, comme mannequin, lorsque l’opportunité de présenter une émission sur la 5 s’est manifestée. Je me suis préparé du mieux que j’ai pu, j’ai mis toutes les chances de mon côté et j’ai finalement été retenu par Françoise Rivière, la productrice.

Ma spontanéité a suscité la curiosité de certaines personnalités du PAF telles que Michel Drucker et Patrick Sabatier qui voulaient en savoir plus sur ce jeune mec, vivant dans son petit appartement parisien et qui avait subitement débarqué dans ce circuit, pourtant réputé très fermé. J’ai également fait la rencontre de Silvio Berlusconi qui était à l’époque le patron de la chaîne. Cette expérience, je l’ai prise comme une opportunité de m’ouvrir de nouveaux horizons au-delà du mannequinat. Ce qui est amusant c’est que j’avais rencontré Nagui sur les bancs d’une prépa HEC quelques années auparavant. Il tenait une émission de radio sur 95.2 et rêvait de percer dans le milieu de la télé. Autant vous dire que sur le coup il a été un peu jaloux, sans se douter de la carrière qu’il aurait par la suite. 

Cela a été une expérience extrêmement enrichissante car j’ai beaucoup apprit sur moi-même. Se retrouver devant la caméra, c’est une véritable école d’humilité et cela donne en même temps confiance en soi. On s’en prend tellement plein la gueule sur sa manière de s’exprimer, de s’habiller, sur les questions que l’on pose, que l’on accepte vite de ne pas plaire à tout le monde. Je me suis construit une carapace qui me permet d’accepter la critique sans me vexer. En fin de compte, cela a été une expérience bien plus formatrice que mon parcours académique. Cette période aura duré 8 mois, jusqu’à ce que Berlusconi perde le contrôle de la chaîne. Par la suite, j’ai été en contact avec Antenne 2 pour présenter l’émission “un DB de plus”, mais c’est finalement Didier Barbelivien qui s’en est chargé. Quelque part je savais que je n’allait pas faire de la télévision toute ma vie

Bref, je continuais à tourner dans des films publicitaires mais je me rendais bien compte que les campagnes que l’on me proposait étaient de moins en moins glamours. J’étais passé des pubs pour parfums et de la campagne de Gini en collaboration avec Serge Gainsbourg à des spots publicitaires pour des barres chocolatées. J’ai donc pris la décision de mettre progressivement fin à ma carrière de mannequin et de monter une agence pour photographe… Jusqu’à ce que je réalise que je préférais prendre les photos moi même. 

Il faut dire que j’avais déjà acquis une certaine expérience au contact de nombreux photographes que j’avais rencontré lors des shootings de mode et j’ai bénéficié des excellents conseils d’un ami qui était l’assistant de grands photographes. J’ai débuté en prenant des photographies de ma copine de l’époque, une mannequin suédoise relativement connue. J’ai également réalisé une série sur les backstages des shootings photos. 

Puis un jour ma copine est partie à New York pour honorer son contrat en tant que Face of the 80’s. C’était un concours organisé par l’agence Ford; l’équivalent du Look of the Year chez Elite. J’ai décidé de la suivre là-bas. Juste avant mon départ, j’ai proposé au magazine Photo de réaliser un sujet sur les top models à travers une série de photos et d’entretiens, ceci dans l’intimité de leur appartement. L’idée a séduit la rédaction du magazine qui souhaitait tout de même se rendre compte du résultat avec de s’engager. 

Arrivée à New York, c’est Estelle Lefébure qui m’a ouvert les portes de l’agence Elite. Rencontrer la directrice de l’agence, Monique Pillard, m’a donné accès aux supermodels Cindy Crawford et Stephanie Seymour et globalement à toutes les grandes mannequins de chez Elite de la fin des 80’s. Grâce à ce coup de pouce, j’ai pu réaliser une dizaine de portraits en 3 ou 4 mois. J’ai réalisé une série de photos en noir et blanc avec une approche un peu candide, au saut du lit, dans leur salle de bain ou au bord de la fenêtre, en lingerie ou en semi-nudité; comme si elles avaient été prises par un petit copain. Ceci sans équipe de coiffeurs et de maquilleurs. Cette approche était totalement à l’opposé de ce qui se faisait à cette époque. Je les accompagnais d’entretiens que j’enregistrais sur cassettes en leur demandant leur signe du zodiaque, leur lieu de vacances favori, le restaurant ou la boîte de nuit dans lesquels elles aimaient se rendre… Bref, le type de questions/réponses que l’on adore lire pendant les vacances. Cette série m’a permis de me faire connaître auprès des grands magazines et de débuter ma relation avec Victoria’s Secret. 

  • Vous êtes donc autodidacte. Comment, au début de votre carrière de photographe, avez-vous réussi à répondre aux attentes d’un secteur aussi exigeant que celui de la mode ? 

En effet, je me suis formé de manière autodidacte alors que j’étais encore élève à Sup de Co, notamment auprès du grand photographe publicitaire Oliviero Toscani, rendu célèbre auprès du grand public à travers ses campagnes pour Benetton. J’ai également eu l’opportunité de travailler au contact d’autres photographes au studio Pin-Up. j’ai pu y apprendre sur le tas, en faisant des tests, l’utilisation de l’éclairage, des fonds et du reste du matériel nécessaire. J’ai également eu la chance d’avoir un ami très proche, assistant d’un célèbre photographe qui m’a beaucoup aidé lorsque j’ai démarré. 

Lorsque j’avais des commandes, je prenais de bons assistants qui avaient acquis une solide expérience auprès d’autres photographes. J’ai fonctionné comme un dirigeant d’entreprise, en m’entourant du bon maquilleur, du bon coiffeur, du bon styliste et un ou deux assistants expérimentés. 

  • Votre carrière a pris un véritable tournant à votre arrivée à New York. Une ville euphorisante, qui donne confiance en soi, mais dans laquelle on peut aussi se perdre. Comment avez-vous appréhendé la ville et quel impact à-t-elle eu sur vous ?

New York est une ville qui donne une énergie incroyable, surtout lorsque l’on est très parisien comme moi. A New York, il y a cette positive attitude qui fait que les gens passent leur temps à utiliser des adjectifs euphorisants pour vous dire que vous allez réussir. Ce que j’ai surtout apprécié c’est d’arriver quelque part où personne ne me connaissait. Car à Paris en 1988, j’avais tourné dans pas mal de pubs et fait de la télé. Donc j’étais, d’une certaine manière, dérangé par le fait d’être identifié comme le mec qui avait tourné dans la pub pour Balisto ou Gini. A New York je me sentais libre de mon passé et de mes parents. New York était encore tout nouveau pour moi, c’était un investissement sur l’avenir. Au début, j’alternais les périodes de deux mois entre New York et Paris; car j’avais tout de même conservé mon activité de mannequin en France afin de m’assurer un revenu. Au bout d’un an j’avais économisé pas mal d’argent et j’ai pu m’acheter un appartement à New York. 

Je me suis réellement installé là bas au moment où le projet des photos et des interviews me semblait suffisamment pérenne. J’avais pris rendez-vous avec Jean Demachy qui était le directeur de la rédaction du magazine Elle à l’époque. Je me souviendrai toujours de ce moment: il me reçoit et je lui présente tout un tas de photos que j’avais imprimé avec mon pote assistant. Il trouve le projet intéressant et propose de me rappeler sous 48h après l’avoir présenté à la rédaction. Finalement, il me rappelle le soir même et m’invite à revenir le voir, le lendemain à 9h. C’est alors que je rencontre leur directeur qui me fait immédiatement savoir qu’il est intéressé par le projet qui devrait intégrer plus de photos en couleur ainsi qu’une photo de couverture avec Stephanie Seymour. J’ai alors immédiatement appelé Elite afin de proposer que Stephanie fasse la couverture du Elle français et Monique Pillar m’a donné son feu vert. Quelques mois plus tard, une de mes photos faisait la couverture de Elle et 16 pages d’interviews à l’intérieur. Pour moi c’était un moment totalement hallucinant. Cette opportunité incroyable a, en partie, été rendue possible grâce à Monique Pillard, qui s’est prise d’amitié pour moi qui était français comme elle. J’étais un jeune photographe qu’elle avait envie de lancer pour faire un pied de nez à Marco Glaviano, un grand photographe avec qui elle travaillait habituellement. C’était une manière de lui rappeler qu’il n’était pas le seul photographe sur Terre. 

Ma carrière se poursuit et je me rends compte que mon travail résonne mieux aux Etats-Unis, qu’il y a plus d’engouement là-bas; tandis qu’en France je continuais toujours à traîner mon passé de touche à tout: à la fois mannequin, présentateur et à présent photographe. Cela m’empêchait d’être prit au sérieux et cela créait une forme de jalousie: on se demandait comment j’avais été capable de shooter ces filles-là. Je me suis dit qu’il valait mieux que je reste aux USA et faire mon trou là-bas. 

Ma carrière a réellement débuté entre 26 et 28 ans. Tout ne s’est pas fait en cinq minutes mais j’ai réussi à m’imposer en tant que photographe avant de m’associer dans différents business: un bar, une boîte de nuit et en ouvrant un immense studio photo de cinq plateaux. 

  • Vous l’avez mentionné: votre succès vient, en partie, du fait que vous avez photographié certains models dans leur intimité. Cela donne un aspect très authentique à votre travail. Il y a un côté presque prophétique au regard de l’émergence des réseaux sociaux. A présent, les personnalités publiques sont en constante représentation; même leur vie privée est mise en scène. La recherche d’authenticité a-t-elle encore un sens aujourd’hui ? et est-il seulement encore possible d’en trouver ? 

Il est évident que le smartphone et les réseaux sociaux ont révolutionné la pratique photographique. Aujourd’hui, tout le monde est photographe et les célébrités sont chargées de prendre leurs propres photos, de montrer leur nouvelle coiffure, leurs nouveaux vêtements. Autrefois c’était le rôle du paparazzi. Le fait qu’à présent tout soit instantané a fait perdre à la photographie son aspect mystérieux, presque mystique. Quelque part, c’est un peu dommage d’avoir perdu cet élément de surprise. Autrefois, nous faisions des polaroïds mais nous n’avions le résultat du shooting qu’à la fin. Aujourd’hui le client a instantanément accès aux photos. Parfois, pendant la séance, certains prennent des photos avec leur téléphone portable et le rendu est presque meilleur. Mais bon, il faut savoir évoluer. 

L’autre grand mouvement c’est le recul de la photographie statique au profit de la vidéo. Dans les boutiques les affiches ont été remplacées par des écrans qui affichent des images animées. Cela attire beaucoup plus l’attention de la clientèle que la photo traditionnelle. Bien entendu, la photo classique existe toujours et l’on a toujours besoin du support papier; mais d’une manière différente. Comme pour la photographie, tout le monde peut faire des films avec son téléphone. Cela permet de réduire les coûts et cela donne un aspect plus jeune, plus frais, moins travaillé. Après cela reste une question de goût. 

  • Comment s’est passée votre transition entre l’argentique et le numérique en 2005 ? 

Lorsqu’une nouvelle technologie émerge, j’ai tendance à prendre mon temps et à l’adopter de manière graduelle. J’étais passé du chrome au film papier et tout d’un coup nous sommes passés au digital. J’ai pris un assistant afin de faire cette transition. Une fois que j’étais lancé, je me suis rendu compte que je n’avais plus à gérer tout le processus de développement: plus de pellicules, ni de planches contacts. L’avènement de la photographie digitale a également lancé un mode de la photographie extrêmement retouchée. Plus rien n’était authentique et l’on était arrivé à un point où les mannequins ressemblaient à des cyborgs. Aujourd’hui on commence à en revenir et certains photographes ont même recommencé à utiliser l’argentique. Pour retrouver un rendu plus naturel. 

  • Parlons-en. La phase de post-production et de retouche fait-elle partie de votre démarche artistique ou est-ce que vous préférez laisser cela à d’autres ?

J’essaye vraiment de me restreindre en ce qui concerne les retouches. C’est une manière pour moi de rester fidèle au style qui m’a fait connaître. Je ne cherche pas à transformer numériquement ni à utiliser trop d’artifices comme d’autres qui mettent en scène leur sujet.  Utiliser la beauté naturelle, c’est ce que je préfère.

  • Faire des vidéos: un choix de cœur ou un choix de raison ?

C’est un médium intéressant. Mais le fait est que la vidéo demande une phase importante de pré-production et de post-production; ce qui prend pas mal de temps. Lors des shootings je prends souvent quelqu’un avec moi qui double les photos en version vidéo, ou qui filme les backstages, voir qui prend des plans larges à l’aide d’un drone. C’est vrai qu’il y a une vraie demande de la part des clients en matière de production vidéo. Aujourd’hui si vous faites de la photo commerciale, c’est difficile de ne pas faire de la vidéo. Les clients demandent généralement des formats courts de 15 secondes ou 1 minute. 

  • En dehors des grands noms de la photographie, avez-vous d’autres influences ou sources d’inspiration ? 

D’une certaine manière, nous nous inspirons toujours de ce que nous voyons. Ainsi, mes photos peuvent s’inspirer d’un film ou d’une photo que j’ai vu, même inconsciemment. C’est presque inévitable. Mais je privilégie l’inspiration du moment afin de ne pas trop m’enfermer dans une idée fixe.

  • Vous n’y avez probablement pas pensé en débutant votre carrière de photographe mais certaines de vos photos sont aujourd’hui considérées comme des œuvres d’Art. En avez-vous conscience ?

C’est quelque chose qui est venu tout à fait spontanément et qui est assez surprenant car mes photos n’ont, à l’origine, pas été pensées comme des œuvres d’Art. Ceci dit, il est toujours flatteur de s’entendre dire que certaines de mes photos sont devenues iconiques. Mais ce n’est pas vraiment à moi de le dire, je laisse les autres en juger.

  • Vous voyagez à travers le monde mais Saint Barth semble avoir une importance toute particulière pour vous. A quelle occasion avez-vous découvert cette île et que trouvez-vous chez elle de particulier ? 

Lorsque l’on est photographe on est constamment amené à voyager. Lorsque j’étais basé à Paris j’allais dans le midi de la France, à Biarritz, en Angleterre ou au Maroc. Dès que je suis arrivé à New York cela a été Miami, Los Angeles, les Caraïbes, le Mexique, parfois Hawaï… Je suis même allé jusqu’à Tahiti. L’avantage de Saint Barth c’est que c’est une île française et j’ai eu la chance d’y aller très tôt dans ma carrière, pour le Elle italien, à la demande d’une rédactrice en chef. En plus, il n’y a pas de décalage horaire avec New York et il n’y a que 4 ou 5 heures d’avions. Ce qui n’est pas très long, vu des Etats-Unis.  

Je ne connaissais pas du tout cette île et j’ai découvert un endroit très français, à la différence des autres îles qui peuvent être très américanisées. Dans les années 1990 c’était encore un petit bijou et on se croyait presque à Saint Tropez. Donc je suis tombé amoureux de cet endroit. Certes, à l’époque, Miami explosait sur la scène de la mode, mais Saint Barth donnait un aspect beaucoup plus dépaysant. J’y suis allé avec différent clients, j’y ai rencontré ma femme et j’y ai fondé eu des enfants là-bas. Finalement j’y ai habité pendant deux ans avec mon premier fils. Cette île est devenue en quelque sorte ma seconde résidence.

  • Avez-vous d’autres projets en dehors de la photographie de mode et si oui, pouvez-vous en parler ?

Je continue mon activité de photographe car j’adore ce que je fais. Que ce soit de la photo de mode, des portraits, des collections de maillots de bains… Mais je dirais que j’essaye également de prendre des photos avec une dimension plus artistique. Avec mon épouse nous avons lancé le concept store CLIC. A termes, je voudrais également publier un nouveau livre de mes travaux.