Christian Dior est sans conteste le plus grand créateur de mode d’après-guerre et probablement l’un des plus talentueux qu’il soit. Instigateur de New Look, son impact sur la mode du XXème et même du XXIème siècle est immense. Son univers créatif, le couturier normand le doit en grande partie à son enfance passée à Granville dans la maison des Rhumbs. Un lieu chargé d’histoire qui est, depuis 1997, la résidence du Musée Christian Dior. Le musée est dirigé par Brigitte Richart depuis 2009.
- Que représentait la maison des Rhumbs pour Christian Dior ? Dans quelle mesure ce lieu a eu une importance sur sa création ?
{B.R.}: Nous sommes tous d’une certaine manière marqués par le lieu de notre enfance et c’est d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit d’un lieu d’exception tel que la maison des Rhumbs, qui jouit d’une situation idyllique et d’un magnifique panorama. Christian Dior s’est exprimé à plusieurs reprises sur l’importance qu’à eu cette propriété, et plus généralement la région granvillaise, dans son parcours d’homme et de créateur. Des propos qu’il a précisés par la suite dans ses écrits.
Le jardin avait une importance toute particulière pour lui. Étant passionné d’horticulture, il avait contribué à son aménagement avec sa mère, Madeleine. Il attribue le fait que le rose soit devenu sa couleur fétiche à la couleur de la maison et aux fleurs du jardin. Le couturier a également mentionné le muguet parmi les fleurs qui lui rappelle son enfance, ici.
Christian Dior évoque par ailleurs le gris des cieux changeants de Normandie et ses souvenirs du carnaval de Granville, qui lui a donné le goût du costume.
- Le Musée a été fondé sous l’impulsion de Jean-Luc Dufresne, qui nous a malheureusement quittés en 2010. Vous avez tout de même eu l’opportunité de le rencontrer. Que retenez-vous de vos échanges ?
{B.R.}: J’ai non seulement eu l’occasion de le rencontrer mais également le plaisir de travailler avec lui avant qu’il nous quitte, malheureusement, en 2010. Le musée était, à l’époque, ouvert de mai à septembre. Nous avons organisé, ensemble, la première exposition automne/hiver avec l’idée que nous pourrions mieux valoriser notre collection en faisant vivre le lieu tout au long de l’année. Ce projet s’inscrivait dans la logique de faire connaître le musée et d’accroître son rayonnement. Pour autant nous n’avons pas souhaité pérenniser cet agenda; car notre collection, composée majoritairement de textiles, a besoin de repos. Nous souhaitions également continuer à prendre le temps nécessaire à l’organisation d’expositions pertinentes et de qualité.
Jean-Luc Dufresne a été le visionnaire qui permit au Musée Dior de devenir ce qu’il est aujourd’hui. Il a compris très tôt que le lieu, par le nom qu’il porte et de par ce qu’il représente, allait pouvoir profiter de l’engouement pour l’histoire de la mode qui commençait à peine à se manifester. Le temps lui a donné raison: les grandes expositions de mode se succèdent à Galliera, au Musée des Art Décoratifs ou au Musée d’Arts de Nantes. Ceci, bien souvent avec le soutien des groupes de luxe.
- Le musée possède un fonds constitué de plus 1 800 vêtements, œuvres et objets liés à Christian Dior. Ce fonds se constitue grâce aux dons et à sa politique d’acquisition. Quelles sont les pièces phares de cette collection? Quels types d’objets cherchez-vous pour la compléter ?
{B.R.}: Il faut distinguer le fonds constitutif de la collection et ses enrichissements.
Le fonds constitutif réunit certaines pièces emblématiques, intimement liées à l’histoire de Christian Dior. Ils sont un témoignage de ce que fut Christian Dior en tant qu’homme, avec sa personnalité et à son histoire. Je pense notamment à la fameuse étoile sur laquelle il marcha en 1946, rue du Faubourg-Saint-Honoré. Le couturier étant un homme profondément superstitieux, il y vit un signe du destin lui suggérant de fonder sa propre maison de couture. Le Directeur Général de la Maison Dior la conservera sa vie entière, avant que l’objet fétiche ne rejoigne notre collection. L’étoile originale est aujourd’hui visible dans le jardin d’hiver du musée, tandis qu’un fac-similé est exposé dans la galerie de l’avenue Montaigne. D’autres objets personnels complètent le fonds: certaines de montres ayant appartenues au couturier; ou bien encore son dernier agenda, qui n’est plus rempli au-delà d’octobre 1957 par la force des choses…
La collection a ensuite été enrichie par Jean-Luc Dufresnes via des dons et des acquisitions. Nous poursuivons cette mission en nous concentrant sur la période 1947-1957, période durant laquelle Christian Dior était à la tête de sa propre maison. Il nous arrive cependant de nous intéresser à certaines collections plus récentes lorsque celles-ci font directement référence à l’héritage laissé par monsieur Dior. Nous avons récemment fait l’acquisition, grâce à un don de la maison Dior, de certaines pièces de Maria Grazia Chiuri qui reprennent quasi littéralement le logo des usines d’engrais appartenant à la famille Dior.
Durant plusieurs années j’ai porté un projet en tant que conservatrice des musées de Granville. Bien que j’occupe plus ce poste, ce dernier devrait voir le jour dans les années à venir. Il s’agit pour la ville de réunir ses trois collections municipales dans une seule réserve qui corresponde aux dernières normes en matière de conservation. Ce qui, pour autant,ne veut pas dire que la collection du musée soit aujourd’hui en péril: bien au contraire, nous avons une régisseuse qui travaille quasiment à temps plein afin de s’assurer que nous la préservons dans des conditions optimales. Mais cette mutualisation des collections nous faciliterait grandement la tâche.
- Quelle est votre relation avec la maison Dior et notamment avec sa galerie, qui a ouvert ses portes à Paris en 2022 ?
{B.R.}: Le musée Dior a un statut associatif: un statut indépendant administrativement et juridiquement de la maison Dior et du groupe LVMH. Pour autant nos relations sont très étroites et quasi quotidiennes. Nous travaillons en bonne entente et en bonne intelligence. Ne serait-ce parce que généralement les prêts dont le musée bénéficie pour ses expositions sont composés aux trois quarts de prêts consentis par la maison elle-même qui, au travers de sa structure Dior Héritage, conserve son propre patrimoine. La maison Dior nous aide également en promouvant le musée grâce aux importants moyens de communication dont elle dispose. De manière plus générale, j’ai envie de dire que dès que le nom de Dior est prononcé dans une campagne de pub, c’est une manière indirecte de faire la promotion du musée qui en porte le nom.
En retour, nous sommes parfois amenés à confier des œuvres à la maison Dior, que ce soit pour la galerie ou pour d’autres projets d’expositions. Le musée prête actuellement à la galerie un portrait du couturier, réalisé par Nora Auric, afin de valoriser l’importance des femmes créatrices dans l’univers de Christian Dior.
- Le Musée a-t-il été impliqué dans l’organisation de l’exposition “Christian Dior, Couturier du Rêve” qui a eu un formidable succès au Musée des Arts Décoratifs en 2017 ?
Durant de nombreuses années l’historienne de la mode Florence Müller a accompagné le musée Dior dans la mise en place de sa programmation. Ainsi, lorsqu’elle a été amenée à organiser cette magnifique exposition au Musée des Arts décoratifs aux côtés d’Olivier Gabet, Florence a pu s’appuyer sur tout le travail qu’elle a effectué à Granville. Nous avons, en quelque sorte, servi de laboratoire. La contribution du musée Dior n’a donc pas été anodine.
Nous avons prêté un certain nombre de pièces pour l’occasion; dont la sublime robe “diablesse” de 1947 qui a fait l’ouverture de l’exposition. Ces pièces ont par la suite été préservées de la lumière pour éviter leur surexposition.
- Quelle est la mission de l’association “Présence de Christian Dior”? Dans quelle mesure participe-t-elle à la vie du Musée ?
Elle fonctionne à la manière d’une association classique avec un conseil d’administration, une assemblée générale annuelle et des réunions de bureaux. L’association organise également des événements et des visites dans un cadre privilégié, comme toute autre association de musées.
Parfois des adhérents sont amenés à prêter des pièces de leur collection personnelle, lorsqu’elles s’inscrivent dans la thématique de l’exposition en cours. Ce fut le cas de certains bijoux.
- Vous renouvelez chaque année l’exposition du Musée. Une manière de faire vivre l’héritage de Christian Dior. Comment définissez-vous votre ligne curatoriale ?
C’est une question qui revient souvent. Mais nous avons la chance de ne pas être contraint par un cadre strict et contraignant. Le thème d’une exposition a pu venir de Florence Müller ou de moi-même. Il émerge parfois d’une réunion ou bien d’une opportunité qui s’offre à nous.
L’exposition “Dior en Rose”, de 2021, a été suggérée par les parfums Christian Dior qui font partie du conseil d’administration du musée. Un thème qui s’accordait parfaitement avec la création, au même moment, d’immenses champs de six hectares de roses à la Haye-Pesnel (non loin d’ici), destinées à la gamme cosmétique de Dior. L’exposition tombait donc à point nommé.
L’exposition “Chapeaux Dior” était la première que nous consacrions à un accessoire en particulier. Elle a été pensée autour du travail du chapelier Stephen Jones et s’est faite sur une proposition de l’artiste lui-même; après que ce dernier ait eu un coup de cœur pour le musée de Granville. On ne pouvait pas refuser une si belle proposition et nous ne regrettons absolument pas notre choix. Cette exposition, très originale, a marqué les esprits. Par delà son attention aux détails et son professionnalisme, Stephen Jones est quelqu’un d’une extrême gentillesse. Ce qui n’a rendu que les choses plus faciles. Cette exposition a été l’opportunité de rappeler l’importance du chapeau pour Christian Dior et le fait qu’il vivait à une époque à laquelle les dames ne sortaient pas sans un couvre-chef. Il a donc pu s’inspirer de la coiffe traditionnelle granvillaise: la bavolette.
C’est finalement un peu cela notre ligne directrice: rappeler que la relation entre Christian Dior et Granville est sincère et profonde. Elle n’a rien d’artificielle. Il nous semble donc naturel de le rappeler lorsque nous le pouvons.
- Le Musée a-t-il également des projets hors-les-murs ?
Cela peut arriver lorsque nous sommes sollicités, notamment par des institutions. Ce fut le cas lorsqu’un musée américain avait repris, en partie, notre exposition Grace de Monaco.
Pour autant, nous n’en prenons pas l’initiative car nous souhaitons concentrer tous nos efforts dans le fait de proposer les meilleures expositions possibles à nos visiteurs. Ceci malgré la contrainte de place qui est pour nous un enjeu permanent.
- Depuis votre arrivée à la tête du musée, avez-vous constaté une prise de conscience par le public de l’importance du travail de Christian Dior et plus généralement de la place de la mode dans notre patrimoine culturel ?
La mode est-elle un art ? J’ouvre la question sans y répondre. Je dirais simplement que lorsque j’étudiais à l’Ecole du Louvre, il n’y avait pas d’histoire de la mode. Alors qu’aujourd’hui cela est considéré comme une matière à part entière. Cet engouement pour la mode n’a été rendu possible que grâce à l’impulsion de certaines personnes telles que Florence Müller.
Cette reconnaissance de la mode répond à une demande du public et cela a le mérite de faire redécouvrir des créateurs méconnus. L’exposition Azzedine Alaïa au musée Galliera rend hommage à certains couturiers qui l’ont inspiré et qui, pour autant, n’ont pas eu le succès qu’ils méritent.

